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       MÉMOIRE VIVANTE DU MARAICHAGE (suite).
N°57 décembre 2003

Pour le Comité Mémoire et Histoire, Monsieur Marcel Fleury, ancien maraîcher, évoque l'évolution du maraîchage de 1850 à 1950 à travers l'exemple de sa famille.

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"Vers 1850, mon trisaïeul était carrier, comme nombre de Montessonnais. Les femmes cultivaient, on achetait des pièces de terre au fur et à mesure des économies. Les femmes disaient : « avec ce singe-là, on n'a jamais d'argent à la maison car il achète des terrains dès qu'il a trois sous ».

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Les cultures à cette époque étaient : le blé, l'avoine, les arbres fruitiers de plein vent, les pommes de terre, les carottes, les poireaux, les salsifis, les petits pois... On élevait aussi des lapins et des poules. Les femmes allaient en voiture à cheval vendre leurs productions à Passy et Neuilly. Des puits existaient dans les maisons, mais pas dans la plaine.

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Vers 1900, leurs petits enfants, mes grands parents, prennent la suite. L'homme et la femme cultivent : blé, pommes de terre, carottes, poireaux, navets, choux, oignons blancs (on fait en secret la graine de ces oignons particulièrement appréciés). On fait d'ailleurs toutes les graines avec grand soin, sur des porte-graines calibrés.

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A cette époque, on creuse des puits dans les champs, et on installe des norias. Des chevaux qui tournent comme dans un manège font monter l'eau dans des godets suspendus à une chaîne; l'eau passe dans des tuyaux,  puis dans des tonneaux en bois remplacés ensuite par des tonnes en ciment. On achète de vieux chevaux de réforme au marché aux chevaux de Vaugirard. L'arrosage se fait avec des arrosoirs de 10 litres, un à chaque bras tendu. Après on a eu les pompes Blanquet...

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Pour la cueillette des petits pois on faisait appel à des saisonniers nomades qui venaient souvent du Nord et de la Belgique avec des chevaux. Une exploitation en employait 15 à 20, pour une durée de 15 à 20 jours. Ils étaient nourris, on tuait le cochon... L'embauche se faisait place de l'Église. Certains faisaient également des cannages et rétamaient les couverts.

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C'est ma grand-mère qui allait aux Halles, rue Berger. Elle partait avec la voiture à cheval et un commis charretier. Au matin, elle rentrait par le train à vapeur jusqu'à la gare du Pecq où son mari l'attendait. Elle préparait le repas de midi pour sa famille et ses ouvriers. Elle prenait quelques heures de repos avant de repartir aux Halles; elle ne dormait dans son lit qu'une fois par semaine.

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Vers 1920, mes parents ont repris l'exploitation. L'arrosage se perfectionne. On supprime les pompes et les chevaux. Des moteurs Evinrude  font monter l'eau des puits, l'eau circule dans des tuyaux souples et des lances percées. Plus tard on aura un système de grands tourniquets branchés sur des canalisations fixes avec des cannelles tous les dix mètres, ensuite on montera des canons sur les cannelles et on installera des tourniquets sur rails. Les premiers camions apparaissent vers 1920, d'anciens camions de l'armée : Liberty, Berliet, les dernières voitures à chevaux font les Halles vers 1940.

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L'hiver on produit des poireaux, des salsifis, des carottes; au printemps, des oignons blancs, des carottes, des navets longs. En 1940, la culture des petits pois disparaît. La vigne est peu à peu abandonnée : mon grand père avait 150 perches de vigne, soit environ ½ hectare, l'alambic venait au domicile des bouilleurs de cru, on distillait aussi  l'alcool de nos pruniers de plein vent ... tout ça s'est arrêté dans les années 50.

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En 1955, on a vu les premiers motoculteurs, on a alors supprimé un cheval sur deux: c'était un premier pas vers la mécanisation. Cette année-là aussi, on a commencé à faire des plants de salades sous châssis, des radis… C'était un premier pas vers la monoculture. Une autre période  commençait ».

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