1er Janvier 2013. Alors que certains fêtent la nouvelle année, trois membres de Mémoire et Histoire de Montesson accueillent la famille anglaise SOMMERFELD.
Un nom allemand ? pour des Anglais ? et MHM à Montesson ? quelle énigme !
Le 19 décembre 2012, était arrivé de Londres un courriel de Paul Sommerfeld. Il espérait obtenir des informations sur le séjour de son grand-père, Adolf Sommerfeld, réfugié juif allemand à Montesson en un lieu appelé « la Tour » dans les années 1933-1935.
Nous continuerons d’échanger des courriels avec sa sœur Felicity Ward.
Le lieu-dit « la Tour » doit son nom à l’existence d’une tour construite au XVIIIème siècle par le seigneur local pour faire un moulin. Il n’y aura pas de moulin, mais la tour est conservée, près d’une villa construite au Second Empire, à l’intérieur d’une vaste propriété. Depuis 1991, le domaine est occupé par des immeubles et par l’école Sainte Anne. La villa a été démolie, la tour est entourée par les bâtiments de l’école.
Que savions-nous de la présence de réfugiés allemands à Montesson avant 1939 ? Le témoignage de gamins de l’époque qui allaient jouer avec des enfants allemands à la Tour et, dans le recensement de 1936, huit noms étrangers de personnes déclarées à la Tour comme « élèves ouvriers ou jardiniers, employé, gérant et patron d’hôtel ».
Nous avions aussi découvert dans les archives de l’école Jean Moulin un registre de 1934 où le nom de l’élève « Kurt Salomon, fils du Docteur Salomon, domicilié au château de la Tour, réfugié ». Le père et le fils ont été pris dans la Rafle du Vel d’Hiv et sont morts à Auschwitz.
Lors de l’entrevue du 1er janvier, les Sommerfeld reconnaissent parmi les huit noms relevés en 1936 celui d’Anna Schnieber, plus tard épousée par leur grand père.
Qui était Adolf Sommerfeld ?
Adolf Sommerfeld était un entrepreneur et architecte berlinois, proches de l’école du Bauhaus, réputé et apprécié pour ses réalisations à Berlin et en Grèce (construction de logements modernes et bon marché dans un quartier de Berlin après son assainissement, et des logements sobres et solides en Grèce construits rapidement pour les réfugiés quittant la Turquie après 1919).
Sommerfeld House (architectes Walter Gropius, Adolf Meyer
Quand, au printemps 1933, sa vie est menacée, il quitte immédiatement l’Allemagne devenue nazie. Il arrivé à Montesson avec son fils de 20 ans, Kurt, le père de Paul et de Felicity.
Les Sommerfeld au domaine de la Tour
A. Sommerfeld devient officiellement gérant de la société « La Tour », une SARL constituée le 2 août 1933 devant un notaire parisien. Les trois actionnaires de la société sont Anna Schnieber, sa future femme, son avocat Me Alsberg et Robert Morhange, commerçant.
A. Sommerfeld « ne comprenant pas la langue française est assisté de M. Paul Lévy, ingénieur, son beau frère ». Toutes ces personnes (à l’exception de M. Morhange) sont domiciliées à la Tour.
Il crée un centre de formation aux métiers de l’artisanat et de l’agriculture pour des réfugiés juifs avant que ceux-ci ne partent en Palestine ou vers d’autres pays. C’est une véritable reconversion pour des intellectuels.
Un article du Herald New York du 23 octobre 1933 présente le centre dans son esprit et son organisation.
Chacun participe à la vie commune : remise en état de la villa, ménage quotidien, cuisine, apprentissage d’un nouveau métier dans la journée, et le soir conférences, films, cours de français… Combien sont-ils ? Quatre-vingts, selon un autre article.
L’expérience de ce centre dure peu ; dans le journal « Le Matin », un article du 16 août 1935 parle d’un hôtel qui le remplace : c’est ce qu’indique une publicité non datée pour un hôtel-centre de loisirs au Château de la Tour à Montesson. Paul et Felicity nous ont confirmé ce projet conçu par leur père Kurt. Adolf Sommerfeld avait également obtenu en 1934 un permis de construire une maison (plan aux archives municipales), mais le projet n’a pas abouti.
Adolf Sommerfeld et son fils partent en Palestine en 1935 ; ils laissent l’entreprise à Anna, la grand-mère de cœur de nos interlocuteurs. A. Sommerfeld et sa famille s’installent ensuite en Angleterre.
La famille Sommerfeld / Summerfield est aujourd’hui éparpillée dans la monde ; elle a l’habitude de faire régulièrement une « cousinade » ; cette année, c’est à Paris. Voilà expliquée leur curiosité pour leur grand-père à Montesson.
Donc, dimanche 20 octobre, nous avons accueilli à l’école Sainte Anne puis à la mairie, avec M. le Maire, une trentaine de membres de la famille, parmi lesquels l’épouse et les enfants de Kurt Sommerfeld.
Cette histoire n’est pas terminée : un autre fils d’Adolf Sommerfeld a vécu à la Tour. Ses descendants américains ont promis de nous contacter. Et il nous faut tenter de rechercher la trace des autres juifs allemands qui ont pu trouver un refuge à Montesson dans leur fuite de la terreur nazie.
Quel plaisir pour notre association d’avoir aidé une famille à compléter son histoire et d’avoir enrichi celle de Montesson.