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Quelques seigneurs de La Borde

Au Moyen-Âge, le chemin de La Borde – Rue du 8 mai 1945 – conduisait en droite ligne du village à la Seine jusqu'à un bac, à proximité d'un manoir et d'une ferme. Il est difficile aujourd'hui d'imaginer l'importance de ce site, siège de la Seigneurie de La Borde. Seul indice de ce lointain passé, la date de  1770 gravée sur un bâtiment restauré. Ici se sont succédés des personnages plus ou moins illustres et plus ou moins recommandables, en des périodes de l'histoire pas toujours très paisibles.

Guerre civile et guerre étrangère, à partir de 1410 la région de St-Germain-en-Laye est dévastée par des troupes armées, Français, Anglais et  Bourguignons.

Les Anglais quittent la région en 1441, mais des bandes "d'écorcheurs", paysans en rupture de ban et gens d'armes irrégulières parcourent encore le pays en quête de butins. Et les intempéries climatiques aggravent une situation d'insécurité extrême : des hivers froids et longs, des inondations, les loups... Au village de Montesson, il n’y a plus que 4 familles… En 1477, quand Olivier Le Daim acquiert la seigneurie à bas prix, il faut reconstruire, labourer et défricher un domaine à l’abandon. Ce barbier de Gand, devenu l’exécuteur des ordres de Louis XI, est un, parvenu sans scrupules, un escroc, un homme violent et cruel. Il finit pendu au gibet de Montfaucon en 1484, ses biens sont confisqués.

La même année, et ami Étienne de Vesc, comme le nouveau seigneur de la Borde : un homme respectable, riche et titré, de vieille noblesse dauphinoise, quoique de père inconnu. La seigneurie reste dans la famille de Vesc jusqu’en 1560.


Respectables aussi sont les Dodieu, (4 générations, dont Antoine, assassiné en 1654), hauts magistrats et officiers de cavalerie, possesseurs de la seigneurie de 1570 à… 1718 ?

Effectivement, la seigneurie est vendue pour 50000 livres en mai 1718 à Charlotte Desmares dite "Lolotte", actrice vedette de la Comédie Française, ex maîtresse du Dauphin fils de Louis XIV, puis de

Philippe d’Orléans son neveu. Mais elle la revend au domaine royal un an plus tard, au même prix, plus 1000 livres de pot de vin à son compte. L’acte est validé par Louis XV, enfant-roi de 9 ans, en présence et sur l’avis de Philippe d’Orléans devenu le tout puissant Régent du Royaume. Hélas : tout ce qui précède est annulé, les 50 000 livres ne sont pas versées et, en 1728, la veuve et les filles de Claude Dodieu récupèrent leurs terres et leurs dettes. Que s’est-il passé ? Charlotte aurait-elle déplu

en s’affichant scandaleusement avec un riche banquier suisse qu’elle finira d’ailleurs par ruiner ? Serait-ce en rapport avec l’effondrement dès 1720 de la bulle financière créée par la spéculation sur le papier-monnaie du banquier Law ?

Nous devons au projet de vente du domaine de La Borde au Roi en 1719, la réalisation d’une carte de "la Garenne du Vézinet et ses environs", où la ferme-manoir apparaît dans toute sa splendeur.


Les héritières, dans l’incapacité d’entretenir leur domaine, finiront par en faire don (!) à leur cousin par alliance Gabriel François Nègre en 1746, fin de la dynastie des Dodieu. Les Nègre réparent et construisent : la pierre de 1770 correspond à leur époque.

Gabriel François Nègre est depuis 1735 lieutenant criminel au Châtelet de Paris. Il instruit et juge tous les crimes de tous genres commis à Paris et faubourgs et accompagne les condamnés à l’échafaud. Las, ce juge n’est pas intègre : accusé de prévarication – grave manquement dans l’exercice de ses fonctions – il est révoqué en 1751. Son successeur est Monsieur de Sartine, plus connu.

En 1789, la seigneurie appartient à la famille de François Bouret d’Erigny. Anne Charlotte, sa fille et seule héritière, a épousé en 1784 haut et puissant seigneur Jean-Louis-Félicité de Bruyère Chalabre, d’authentique noblesse d’épée du Languedoc, dont elle a un fils. Elle décède peu après, le mari émigre, la seigneurie est mise sous séquestre… Mais il sera démontré que Jean-Marthe-Félicité,

l’enfant orphelin de 8 ans, est l’unique propriétaire, et qu’il n’a pas émigré : ses terres lui sont restituées. La ferme est louée à bail, mais le "ci-devant château" inhabité tombe en ruine. Les matériaux et gravats sont vendus aux enchères en 1812, un maçon de Chatou emporte le marché pour 295 francs. Exit le manoir. Devenu adulte, le marquis de Chalabre mène dans le Paris de l’Empire et de la Restauration la vie oisive d’un célibataire fortuné. Fort amoureux de l’actrice Mademoiselle Mars, il lui fait une cour assidue et la couvre de cadeaux somptueux, sans trop de succès.

Bibliophile passionné, il collectionne autographes et livres rares. Alexandre Dumas2 rapporte une anecdote : le marquis déjeunait tous les dimanches avec d’autre amis bibliophiles dont Charles Nodier, star de ce cercle d’amateurs, qui le lance sur la piste d’une Bible unique, son rêve… Il la recherche pendant 3 ans, en vain, et pour cause : Nodier l’a berné, cette Bible n’existe pas. Il finira par acquérir l’un des deux exemplaires connus d’une autre Bible, pour 2000 francs. 

Jean-Marthe-Félicité meurt à Paris en 1832, l’année du choléra. Il lègue sa bibliothèque à Mademoiselle Mars. On découvre 40000 francs cachés dans la Bible et des collections d’une incroyable richesse. Le domaine de la Borde est vendu à Monsieur Choret, baron de la Chance… ( À suivre).


1 Tous les faits sont authentiques. Leur choix est légèrement subversif : il faut bien sourire et constater encore une fois que ce n’était pas mieux avant…

2 Dans "La femme au collier de velours", 1er chapitre (en livre de poche).

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