Le Pâté à la Carmen à travers
la presse locale d'autrefois.
Des révélations ?
Les archives départementales ont numérisé et mis en ligne une partie de la presse locale, dont les titres se sont multipliés après la loi sur la liberté de la presse de 1881.
Que cherchons-nous ? La toute première allusion au Pâté « à la Carmen ».
Il faut d’abord rappeler qu’autrefois la fête patronale, fête de la paroisse, se célébrait le 26 septembre, jour de la Saint Côme et de la Saint Damien, saints guérisseurs martyrisés en 303, honorés comme anciens patrons de la paroisse.
Septembre correspond au temps des vendanges, imposé par le ban seigneurial avant 1789 et repris par l’autorité communale. C’était celui des vacances scolaires, qui s’achevaient ici au dernier jour de pressurage, traditionnellement jour de repos et de réjouissances. La rentrée des classes sera fixée au 1er octobre à partir de 1881.
Le calendrier de la fête communale tient compte de ce passé : les festivités commencent la veille ou le jour du 3ème dimanche de septembre, se poursuivent pendant la semaine qui suit et se terminent
le dimanche suivant.
La consultation des journaux de fin septembre et début octobre s’impose.
À la Belle Époque
La collection du Réveil d’Argenteuil, Saint-Germain-en-Laye, Poissy et Meulan, journal républicain bi-hebdomadaire, commence en 1893. Les programmes des premières années sont alléchants, mais il n’est pas encore question de pâté.
Enfin le 2 octobre 1904 : « dernier jour d’une fête particulièrement brillante, favorisée par un temps superbe. Une foule nombreuse qui, conformément à la tradition, a fait une ample consommation de "pâtés à la Carmel" arrosés d’un petit vin nouveau de Montesson qui, cette année, est des meilleurs ».
« À la Carmel » ? une nouvelle piste ? Pas de réponse dans le journal qui paraît jusqu’en 1914, mais il manque trop de numéros, on ne trouve aucune mention de ce fameux pâté déjà dit traditionnel.
Et si c’était une faute de frappe ? ou un lapsus lié à l’actualité : entre 1902 et 1905, l’interdiction de certaines congrégations (mais pas le Carmel) et la question de la séparation des Églises et de l’État opposent violemment laïcs et cléricaux ? Et si c’était « à la Carmen » ?
La Carmen de Bizet, huée en 1875, enfin inscrite au répertoire de l’Opéra-Comique en 1898, y connaît un succès sans égal. Le Tout-Paris se pressera à la célébration de la millième représentation le soir du 23 décembre 1904, le Figaro lui consacrera 3 colonnes à la Une et un long reportage à la rubrique
théâtre. L’art lyrique est très populaire, non seulement les airs célèbres sont joués et chantés partout mais ils sont enregistrés sur les cylindres des phonographes, dont ceux produits à l’usine Pathé de Chatou depuis 1898. Le catalogue 1900 de Pathé, publié pour l’Exposition Universelle, étonne par son abondance, les grands airs de Carmen y sont en bonne place... De là à en faire un pâté…
« Carmen » ne remet pas en cause le charcutier nommé Kermann invoqué par les anciens Montessonnais comme l’inventeur du pâté consommé en 1904 « conformément à la tradition ». Bien au contraire, car ils ajoutaient que Kermann était un Alsacien-Lorrain qui avait opté pour la France après la défaite de 1870. Quoi d’étonnant alors à l’excellence de ses pâtés, quand on connaît la réputation des pâtés lorrains, spécialité de Baccarat étendue depuis à toute la Lorraine.
« Kermann, Carmen », le temps ayant passé, il suffisait d’une simple inversion de voyelles et d’un peu d’humour… Interprétation aventureuse ? Au cours de nos recherches nous n’avons trouvé aucun Kermann habitant Montesson, pour l’instant…
Vingt ans après et au-delà
Le Cri Républicain du canton de Saint-Germain du vendredi 22 septembre 1928 annonce la fête communale de Montesson et conclut : « ne pas oublier que pendant la fête on déguste le traditionnel et inégalé pâté que seul Montesson sait confectionner ».
Le 22 septembre 1929, l’hebdomadaire le Seine et Oisien rend compte du premier dimanche : « la fête attira de nombreux visiteurs qui, suivant la tradition, ont voulu déguster le fameux pâté "à la Carmen" en buvant le vin nouveau ».
« À la Carmen ». Nous y voilà, et c’est bien l’appellation qui a été conservée.
Eh bien ! Non, pas pour tout le monde… C’est ainsi que Les Échos de Rueil, en 1933, rappellent que : « la fête communale aura lieu les 24, 25, etc. de septembre avec dégustation du traditionnel pâté de la Saint Côme». La même formule est reprise en septembre 1937 et 1938 par le Journal de Saint Germain et par Le Petit Réveil, qui, sous le titre de fête communale précisent : « pâté de la Saint Côme arrosé des meilleurs crus de Montesson ».
Que comprendre ? Dans le contexte de crise des années 1930, la société montessonnaise est profondément divisée. Les vieilles querelles entre cléricaux et anticléricaux se sont réactivées, souvent violemment, aux dires de ceux qui en furent acteurs ou témoins. Les journaux de tendances rivales s’en font l’écho, jusqu’à opposer le petit pâté laïc à un hypothétique pâté clérical…
Rassurons-nous : un pâté à double identité mais une seule recette… Les amateurs du pâté à la Carmen et ceux du pâté de la Saint Côme, ennemis déclarés, se régalaient avec le même « traditionnel et inégalé pâté » !
Et une certitude aujourd’hui : Carmen a gagné la postérité.
Des révélations ? Nous avons joué sur des coïncidences, mais sans preuve… le mystère n’est pas éludé, à suivre…
Mais oui, une révélation cependant : avec l’accord des gardiens des traditions locales, nous avons le plaisir de révéler la recette du fameux pâté. À consommer avec un petit vin léger du clos des Vieilles Vignes de Montesson, pourquoi pas ? Une idée pur les fêtes de fin d’année ?
La recette du pâté, publiée dans un lointain magazine communal
avec quelques imprécisions qui laissent libre cours aux cuisiniers et cuisinières.
Ingrédients :
(pour 8 personnes)
250 gr de pâte feuilletée
50 g de talon de jambon
50 g de champignons frais émincés et pochés
1 œuf pour la dorure
Pour la farce :
100 g d’échine de porc (sans os)
70 g de veau maigre
50 g de talon de jambon
Echalote grise, selon les goûts
Thym, laurier, sel, poivre, Cognac, selon les goûts
Préparation :
> Faites dorer les échalottes hachées avec 20 g de beurre. Hachez l’échine de porc, le veau et le jambon.
> Dans une terrine, mélangez les échalottes, les viandes hachées, le talon de jambon en petits dés et les fines herbes.
> Pétrissez avec l’oeuf, sel, poivre et Cognac et ajoutez les champignons.
> Étalez sur la première pâte, puis recouvrez avec l’autre pâte.
> Étalez du jaune d’oeuf pour dorer.
> Faire cuire 30 minutes à themostat 8.